Définir l’art
Pour commencer et afin de savoir de quoi on parle, il serait nécessaire de définir ce qu’est l’art… mais rien que cela pourrait faire l’objet d’un article entier…
Je vais donc partir de la définition de mon dictionnaire (toujours le Hachette encyclopédique de 1994 :
1) activité humaine qui abouti à la création d’œuvres mais comme il faudrait développer la notion d’œuvre, je préfère le 2) chacun des domaines dans lesquels les facultés créatrices de l’homme peuvent exprimer un idéal esthétique.
Cette définition me plaît particulièrement, car elle intègre 3 notions essentielles :
– « chacun des domaines » : aucune limite n’est mise quand aux domaines « réservés » de l’art. Et il est parfois extrêmement réjouissant de trouver de l’art ailleurs que dans les musées et autres prés carrés de la culture élitiste
– « les facultés créatrices de l’homme* » : ce qui importe c’est le travail de création, pas le résultat, qu’il soit réussi ou pas, c’est le chemin qui compte. Cela met d’office hors concours la simple recherche de copier quelque chose qui a déjà été fait. Ce qui compte, c’est que l’artiste concerné imprime sa vision de l’œuvre et du monde. Pas de refaire ad vitam aeternam des copies d’une œuvre supposée parfaite… dans ce cas là, on entre dans le domaine de la production industrialisée !
* l’homme au sens être humain, qui englobe donc les hommes, les femmes et les enfants
– « un idéal esthétique » : l’objet de l’œuvre est de partager avec le monde (ou en tout cas la part du monde à proximité suffisante) les rêves sans limite du créateur. Il est curieux de noter que ces 2 termes, idéal et esthétique, sont à la fois des adjectifs et des noms, et que le sens de cet ensemble est un peu différent suivant le choix qu’on fait.
Moi je retiens l’idéal (adj.) esthétique (nom). Car l’adjectif idéal est défini (toujours dans le même dictionnaire) comme : 1) qui n’existe que dans l’entendement ; créé par l’imagination, la pensée – 2) qui atteint le plus haut degré de perfection imaginable, concevable. Tandis que le nom esthétique est défini comme : 1) science, théorie du beau.
Avez-vous noté que la définition 2) de l’idéal parle de « degré de perfection imaginable » ? C’est ce qu’on oublie souvent lorsqu’on parle d’idéal et de perfection. L’adjectif imaginable n’est pas anodin. Il empêche en effet la réduction de l’idéal à une perfection codifiée et figée. Les seules limites permises sont celles de l’imagination… L’idéal esthétique rejoint alors les facultés de création, puisqu’il correspond à la capacité du créateur d’imaginer, de rêver une science du beau.
Quelle société sans art ?
Maintenant qu’on a défini ce qu’est l’art, intéressons nous au terme inutile. Pour faire simple, je dirai que si quelque chose est inutile, ça ne sert à rien, et qu’on peut donc s’en passer.
Admettons donc que l’art soit inutile, et qu’on puisse le supprimer (certains s’y emploie d’ailleurs régulièrement, mais ce n’est pas l’objet de l’article)… Si je reprends les 3 points précédents, je supprime donc :
– les domaines qui ne sont qu’artistiques, les autres domaines où l’artistique ne vient qu’en complément d’une utilité quelconque se verront donc priés de revenir à la base de ce qui est utile et de supprimer toutes les formes inutiles
– les facultés créatrices de l’être humain, nous serons tous priés d’éviter de créer, de rêver, ou toute autre forme d’évasion de notre quotidien utile
– l’idéal esthétique, comme on vient de le dire, les rêves et autres imaginations seront persona non grata, chacun étant invité à se concentrer sur la perfection de l’utile, sans dérogation aucune.
– on supprime bien sûr aussi les sourires, les échanges amicaux ou les soirées foot, car même si ce ne sont pas des manifestations artistiques au sens propre du terme, ce sont tout de même des manifestations inutiles, qui n’ont aucune place dans notre société TOUT UTILE… Ça vous fait rêver vous, ce type de société ?
Quelle utilité pour l’art ?
Pour ma part, je suis convaincue que l’art est utile.
En partie grâce à mes parents, qui nous ont éveillés à la beauté, autour de nous, dans la nature, dans les musées, dans la vie, et qui ont suscité notre curiosité par des voyages et des rencontres, parfois pas loin de la maison et régulièrement à la maison, accueil et respect de l’autre et des différences…
En partie par résonance personnelle, malgré les professeurs parfois pas à la hauteur, et malgré l’acharnement de la société à classer l’art, à définir ce qui est artistique ou pas et à expliquer les œuvres… Pour moi l’art se vit dans le sens où une œuvre doit véhiculer une émotion, un message. Il arrive que le message ou l’émotion véhiculés ne me touchent pas, car nous sommes tous différents, et nous avons tous une empathie personnelle.
Mais en tout cas, j’ai toujours détesté qu’un guide m’explique « pourquoi l’artiste a fait ça…. ». J’aimerai mieux qu’il m’explique « comment il a fait ça », le chemin de création, plutôt que les morceaux de vie qui ont construit l’idée… Si je ne ressens rien devant une œuvre, ce n’est pas l’explication qui va changer quoi que ce soit…
L’art m’apporte de la curiosité, des rencontres, de la joie, un sourire ou une larme, une émotion, un partage et tellement plus…. Alors ce n’est pas rien, et ce n’est pas inutile
Mais si je vais jusqu’au bout de cette réflexion, je dois aussi me poser la question dans l’autre sens… Qu’est-ce qu’un objet utile ? Quelque chose qui a une fonction, dont nous nous servons régulièrement, et que nous remplaçons quand il est usé ? Une assiette, une machine à laver, une voiture…
Et si nous imaginions cela pour l’art ? Que ce soit en musique, en peinture, en architecture… ? C’est déjà partiellement le cas dans certains domaines (mode ou design par exemple), où on se sert des objets ou des vêtements…. Les modes passent…. Les objets s’usent…. On change de décor….
Pourquoi ne pas sortir du carcan des monuments historiques, des musées, de cet art enfermé par la culture ? On parle parfois d’art éphémère, mais n’est-ce pas ça l’art ? Ne pas chercher à conserver à toute force un héritage, si cela empêche de se projeter dans l’avenir. Laisser vivre les œuvres, accepter l’idée qu’elles sont destinées à disparaître un jour, que ce soit dans 1 semaine, dans 2 ans ou dans 5 siècles…
L’art serait le fait d’aller chercher toujours plus haut, plus loin, ailleurs… de renouveler nos rêves au fur et à mesure qu’ils sont atteints ? De profiter de chaque instant et de chaque œuvre avant qu’elle disparaisse pour laisser la place à une nouvelle idée ?